PENSEES PHILOSOPHIQUES

16/08/2008 23:37

 

Le philosophe de la rue des Bourdonnais

                          

 

  Dans le premier arrondissement de Paris, la vieille rue des Bourdonnais, qui conduit à l’église Saint-Eustache, a beaucoup changée à travers les âges et a vu beaucoup de choses. Elle fut élégante autrefois (ne dit-on pas que l’hôtel de la Belle Gabrielle s’y trouvait ?). C’est rue des Bourdonnais que Balzac fait loger son Anselme Popinot dans César Biroteau et Victor Hugo en parle dans Notre Dame de Paris.

 

  On voyait encore à la fin des année 1970, au numéro 4 de cette rue, à l’angle qu’elle formait avec la rue Saint germain l ‘Auxerrois, une de ces devanture en bois dont certaines sont très anciennes et que la ville serait bien inspirée de protéger car elles sont une part du charme et de l’histoire du vieux Paris.

 

  Celle-ci abritait un atelier de restauration de tableaux fondé en 1740 comme l’indiquait les lettres dorées à demi effacées sur l’imposte vitrée au-dessus de la porte. Sur le bandeau de la corniche supérieur, on lisait : Brisson et Legay - Legay successeur. En réalité, ce dernier n’était plus de ce monde depuis 1943, mais le successeur actuel, Léon Gard, avait négligé d’y substituer son nom.

 

  Il était venu de sa province d’Étampe à Paris dés l’âge de quatorze ans sous la protection du Conservateur des Arts Décoratifs, Louis Metman, étonné par la précocité de son talent. Il avait fréquenté l’Académie Ranson et, plus tard, l’Ecole de la rue Bonaparte qu’il qualifiera de « conservatoire de médiocrités ». A sa sortie des Beaux-Arts, il avait peint pendant quelques années pour Chéron, un marchand de tableaux renommé de la rue de La Boëtie qui avait parmi ses « poulains » : Soutine, Foujita et van Dongen. Ce fut une époque de vaches maigres mais, somme toute, heureuse, interrompue par la crise économique de 1930 qui le contraint d’accepter un emploi de restaurateur de tableaux dans l’atelier de Legay, auquel il succéda bientôt.

 

  Ce métier de restaurateur, qu’il pratiquait avec une compétence qui lui attira une clientèle de choix avant qu‘elle ne le délaisse dans les dernières années, avait cependant enrayé sa carrière de peintre et il en avait conçu une certaine amertume que sa philosophie naturelle avait traduit en méditations profonde sur la société et sur la vie.

 

  C’est dans l’étroit bureau de cet atelier, sur des cahiers d’écolier, qu’il nota ses réflexions à la plume sergent-major, entre les années 1960 et 1979. En voici quelques unes.

 

 

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                                   - La paix et la justice -

 Les gens "arrivés" parlent toujours de paix parce qu'ils tendent à conserver les biens acquis et ceux qui veulent "arriver" parlent toujours de justice. Ceux qui ont acquis des biens mais en voudraient encore parlent alternativement de paix et de justice selon les endroits où il y a ou non des choses qu'ils ambitionnent de prendre. C'est ainsi que la paix et la justice ne sont pas toujours des mots purs.

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                                          - La preuve -

Si un être ne vous a jamais donné de preuve d'un attachement désintéressé, comment y croire autrement que par hypothèse? Il s'ensuit que beaucoup de vies sont bâties sur des hypothèses.

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                                            - Capacité -

  Il y a beaucoup de gens n'ayant pas de capacité ou très petite qui pourtant vivent et fort bien. Certains "arrivent" et sont loués.

  Il serait intéressant d'observer comment ils s'y prennent : sans doute jouent-ils la comédie de ce qu'ils ne sont pas, auquel cas beaucoup vivraient de l'abus de confiance.

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                                            - Sagesse -

  Ne voir comme bien suprême que sa propre sécurité, son bien-être, son confort, sa conservation, sa prospérité est une fausse sagesse passant pour vraie. La sagesse étant un sentiment proprement humain, il faut qu'elle se situe au-dessus d'un sentiment purement animal. Il n'y a pas de prudence qui doive faire qu'un sentiment de justice devienne lettre morte, même s'il apparaît certain que prendre parti pour cette justice nuira à notre bonne conservation matérielle. C'est beaucoup demander car les êtres veulent avant tout exister égoïstement, l'altruisme lui-même n'étant qu'un moyen de pression collective : voilà l'animal dans l'homme. Mais il reste cette partie importante de l'homme qu'il faut contenter spirituellement.

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                                             - les faits -

  Nous nous empressons de tirer des conclusions sur des faits dont les causes sont toutes différentes de ce que nous croyons.

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                       - Les faits et les explications des faits -

  Devant un résultat, il faut faire la part des faits proprement dits et la part des explications qu'on donne de ces faits. Ces explications sont des hypothèses qui varient infiniment, parfois du tout au tout, selon les caractères et les intérêts. Le rare est que les explications soient exactes.

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                                 - La diffusion scientifique -

Il est de plus en plus difficile et illogique que la grande valeur puisse se produire dans l'immédiat contre la valeur moyenne ou au dessous de la médiocrité imposée par des appareils de diffusion tels que la télévision ou les transistors. Avec ces jouets scientifiques qui ressemblent fort à la crécelle enchantée du porcher d'Andersen, les peuples courent infailliblement aux malheurs qu'apportent toujours les croyances fausses.

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                                             - Privilèges -

  les privilégiés n'admettent pas qu'on supprime leurs privilèges. Pour eux, la vérité, la justice ne commencent qu'à partir du moment où ils les ont obtenus. Ils feraient tout pour les garder. Aussi, ne faut-il pas accorder des privilèges à la légère.

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                                      - Perte de confiance -

  La confiance perdue est une blessure inguérissable parce que se laisser aller à la confiance est une espèce de repos sacré, total, exceptionnel qui ne peut être terni, même partiellement.

  C'est pourquoi, souvent, on ne veut pas voir qu'on est trahi parce qu'on sait tout ce qu'on perd quand on en est sûr. Ceux qui font profession d'abuser de la confiance le savent bien car ils voient réussir leurs impostures les plus criantes. Mais le succès même les aveugle et trop d'abus finit par les perdre : le tartuffe de Molière.

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                                      - La paix et l'ordre -

  Quand le mal triomphe, la paix et l'ordre sont le maintien du mal par les lois.

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                                             - Calcul -

  Plus les calculs sont petits, mesquins, compliqués, plus le vulgaire y trouve plaisir et intérêt croyant être savant.

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                                          - Paradoxe -

  La société vit sur des conventions, des croyances qui ne sont pas toutes des certitudes, loin de là. La nature, qui reste elle-même à travers les usages les plus ancrés et, d'ailleurs, souvent contradictoires, devient, dans ce cas, subversive et paradoxale, c'est-à-dire en opposition avec beaucoup d'usages.

Ceux qui suivent franchement la nature parce qu'ils voient le superficiel et le faux des usages sont appelés subversifs et paradoxaux dans le sens de mauvais esprits et contrariants par système, alors qu'ils ne cherchent nullement à contrarier les hommes mais s'efforcent d'éviter de contrarier la nature.

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                                   - Rhétorique du faux -

  Il y a des personnes qui, dans certains cas, inclinent les choses comme elles veulent qu'elles soient et refusent de les voir telles qu'elles sont réellement, jusqu'à nier délibérement l'évidence avec une ingéniosité qui est parfois de l'art. Ces personnes sont utiles : elles font progresser la rigueur et la clarté du raisonnement, ainsi que la précision des citations. Elles ne permettent pas le vague, l'à-peu-près, fût-il éloquent. Elles rappellent aussi qu'on peut soutenir brillamment le pour et le contre si l'on est habile.

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                               - Amoindrissement de l'âge -

  Schopenhauer dit qu'avec l'âge, tout pâlit et que toutes les sensations s'amoindrissent. C'est une opinion conventionnelle. Il serait ridicule de nier les ravages de la vieillesse. Pourtant, toutes les aptitudes ne diminuent pas d'intensité pas plus que toutes les jeunesses ne sont capables et c'est, dans certains cas, plutôt mutation que décadence : il y a des choses qui n'intéressent plus ou qui intéressent autrement; on voit davantage les choses comme elles sont et soi-même comme on est et l'on n'est plus capable d'entreprendre avec le seul soutien des illusions. On comprend, par contre, des choses qu'on ne comprenait pas avant, ce qui paraissait impossible paraît possible. Des choses qu'on ne croyait pas se révèlent et l'âge est souvent l'époque des découvertes. Bref, l'opinion de Schopenhauer est systématique et ne tient pas compte de toute la réalité. Dans la vieillesse, il y a une évolution et pas seulement un amoindrissement. La jeunesse a ses lacunes, il est compréhensible que la vieillesse est les siennes. Non tout ne pâlit pas également et ce n'est pas aussi uniforme. On est plus difficile et les choses qui satisfont sont plus rares, tandis que les choses qui déplaisent sont plus nombreuses. La vieillesse, c'est une différence plutôt qu'une pente qu'on descend.

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                                     - Justesse du calcul -

  La justesse du calcul est tout en toute chose. Il faut, par conséquent, que le plan où l'on se place soit, lui aussi, un calcul juste par rapport à l'équilibre humain, car rien n'est plus funeste qu'un calcul seulement juste dans le détail et faux dans l'essentiel : la justesse du détail aggrave l'erreur de l'ensemble en lui donnant une existence et un côté de vérité.

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                               - Référence n'est pas raison -

  Des causes affreuses s'habillent parfois de références vénérables. On peut même dire que plus une cause est mauvaise, plus elle a besoin de s'appuyer sur des références, sur un pavillon noble. Car rien n'empêche le plus fort de s'emparer d'un édifice, d'un territoire, d'une forteresse, d'un pouvoir et de faire le contraire des êtres vertueux qu'il a dépossédés en disant qu'il les continue dans le bien : il prétend même hautement qu'ils ont trahi et que son intervention a tout sauvé. Aussi, faut-il juger les gens par leurs actes et non par leurs paroles et ne pas oublier que voir le fait est essentiel.

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                                         - Le mille-pattes -

  Quel est celui qui, découvrant un mille-pattes sur le mur de son cabinet de toilette, ne s'est pas précipité pour le tuer ? Et pourtant la faiblesse de ce malheureux mille-pattes ne le menaçait nullement. Cet insecte, comme lui aimait sa courte vie. comme lui, c'était une créature de dieu. Il avait même quelque chose d'extraordinaire avec ses inombrables pattes, ses écailles, ses antennes. Il avait quelque chose d'extraordinaire comme tous les insectes, comme tous les oiseaux, comme tous les reptiles, comme tous les animaux, cet extraordinaire qui paraît ordinaire à force de le voir. Seul, un instinct raciste pousse à détruire ce qui est trop différent de nous et paraît menaçant par cette différence-même et l'est réellement quand ce qui est différent de nous l'est aussi par une force et une agressivité plus grande. Chez l'homme supérieur, il y a un instinct généreux qui respecte la faiblesse à travers l'instinct brutal de destruction, même quand il est fondé à supposer que cette faiblesse peut devenir force. La supériorité de l'homme supérieur est en ce qu'elle s'oppose à la prudence parfaite et en ce qu'il risque aussi que, par une ruse immonde, la faiblesse, la maladie, la blessure ne soient simulées et cachant un pîège cruel.

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                                             - L'erreur -

  Le malheur de l'homme, c'est que ses erreurs ont toujours eu des mains pour agir, des pieds, des jambes pour courir, parfois des roues pour circuler rapidement, des machines pour écraser, voire des ailes pour voler. Bref, le malheur est que certaines petites vérités et même des grandes puissent se mettre au service de qui les emploie.

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                                             - La famille -

  Famille est un mot auquel on conserve un sens mystique sans vérifier son contenu. En réalité, à la faveur de cette mystique aveugle, la famille actuelle, s'il est bien vrai qu'elle est organisée pratiquement, ne l'est pas moralement. On se marie pour n'être plus seul, ce qui est futile et pusillanime à côté du sérieux du problème de la vie. On se marie pour s'appuyer sur quelqu'un qui, outre la personne, épouse aussi ses intérêts, lesquels sont devenus les siens et qu'elle défend comme tels. Dans certains cas, c'est une espèce de complicité. On se marie aussi pour fuir sa famille dont on trouve le joug pesant, ce qui est incohérent puisqu'on en fonde une autre dans les mêmes conditions. On se marie pour ajuster des situations, des fortunes équivalentes sans se soucier vraiment que du grossissement des capitaux car c'est ce qu'on regarde comme l'essentiel. On se marie pour s'intégrer solidement à un milieu fort qui sera encore renforcé de notre adhésion contre des attaques  éventuelles. Bref, on se marie pour des avantages et non pour des vertus. Bien des événements surviennent qui font de la famille une apparence fallacieuse. On s'additionne au hasard et non pour une belle cause. Sans doute, la famille peut fournir des cas personnels heureux mais c'est à son corps défendant et en contradiction avec la solidarité égoïste qui fait l'alliance. De toute façon, les cas personnels heureux ne peuvent parvenir à leur fin normale qu'en brisant un état de choses organisé en dehors du sens moral.

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                                             - Mystère -

  Il y a des gens qui prétendent tordre le cou au mystère comme à autant de falsification et comme si tout devait s'expliquer ou ne pas être. Il n'y a que le raisonnement qui explique : or, on raisonne clairement selon des principe dont l'origine n'est pas claire et, qu'on le veuille ou non, mystérieuse. Le raisonnement est un instrument d'organisation et non de jugement des principes. Vouloir faire préexister le raisonnement à tout, c'est vouloir que l'enclume commande au forgeron. Être choqué par une injustice, une cruauté, une fourberie, un crime, et n'être pas choqué par un raz-de-marée, un tremblement de terre, une tempête, même si l'on est épouvanté, est inexplicable aux plus grands donneurs d'explications et prouve péremptoiremnt que la responsabilité est un mystère humain comme beaucoup d'autres auxquels, seule, l'humanité est soumise, on ne sait pourquoi.

  L'acceptation du mystère est de simple évidence. Le raisonnement, magnifique instrument, mais instrument, n'est nullement amoindri par le mystère. Il joue sa partie légitime qui est fort belle sur le plan de l'organisation terrestre où il est maître à condition qu'il ne prétende pas à être tout.

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                                     - Les mathématiques - 

  Les mathématiques, devenues une espèces de religion de l'exactitude athée et, pourrait-on dire, de négation du métaphysique, ne sont pas tout ni même l'essentiel. A toutes les époques on a pratiqué brillamment les mathématiques. Pythagore, Platon, Aristote et bien d'autres en on fait sur le plan supérieur : ils n'ont pas découvert, qu'on sache, ou publié l'electricité ni la force atomique telles qu'on les voit aujourd'hui. Il paraît bien que les mathématiques soient ce qu'on les fait et répondent selon qu'on les interroge de telle ou telle façon.

  Avant toute mathématique, il faut avoir une idée. Cette idée, point de départ, est juste ou non. Si elle ne l'est pas, les mathématiques qui l'appuient fonctionnent dans un mauvais sens et la servent aussi bien que si elle était juste car la cause n'est pas rendue juste par la justesse de l'instrument qui la sert.

  Les mathématiques ne sont qu'un instrument supérieur qui devient nocif dans la mesure où l'orientation de cet instrument est nocive (orego majorem, disait un auteur ancien).

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                                 - Les grandes inventions -

  L'homme moderne chante ses victoires sur une nature qui est, en définitive, ses principes essentiels, sa loi suprême.

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                                 - Le mal et la décadence -

  Le mal le plus grave n'est pas une mauvaise chose passant pour mauvaise mais une mauvaise passant pour bonne. Ainsi, le mal, ce sont les bonnes idées déformées, comprises à contre-sens par la décadence et vivant sur la réputation de ce qu'elles ne sont plus.

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                                        - La vie et l’argent -

   La vie sans argent est quelque chose, l’argent sans la vie n’est rien.

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                                    - La raison du plus fort -

  « La raison du plus fort est toujours la meilleure ». Cette formule ironique de La Fontaine signifie que la plus grande force et la juste cause ne font qu’un aux yeux du plus fort et aux yeux de ceux qui se rangent systématiquement de son côté et qui, par conséquent, trouvent bonne à l’avance la raison qu’il donnera. Dans l’absolu, la juste cause n’est pas toujours accompagnée de la force mais la juste cause est une force en soi. Si elle échoue parfois, souvent, dans l’immédiat, elle s’obstine implacablement à triompher à la longue. On ne se méfie pas de la chimie du remord qui empoisonne les triomphes pratiques les plus grands et provoque les conversions les plus inattendues. Qu’on soit fort ou non, il vaut mieux être juste.

 

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                                              - Pacifisme -                      

  Le pacifisme est une vertu sublime qui existe réellement chez certains êtres mais, en général, il est rare que ceux qui se disent pacifistes le soient réellement. Ceux qui ont quelque chose à conserver ou à prendre personnellement et matériellement au nom d’une prétendue justice ne peuvent être des pacifistes.

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                               - Les métiers et les emplois -

  On ne parle plus de métiers mais d’emplois, lesquels sont en grande partie supprimés par l’électronique. Dans ces conditions, l’homme perd son âme. Il faut qu’un homme soit fier du travail qu’il fait en se disant que la société est ce qu’elle est beaucoup grâce à lui, car une société digne de ce nom vit par les métiers et non par les expédients. Mais si cette société lui présente une vilaine image et que, par surcroît, il a le sentiment quand il y réfléchit d’être complice de cette laideur tout en étant un rouage méprisé autant qu’éphémère, il se sent avili. Les métiers ennoblissent l’homme tandis que les emplois en font un ilote sans espoir.

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                            - Faiblesse du raisonnement -

  Il n’est pas bon que certains suivent un raisonnement s’ils raisonnent mal : leur instinct est plus juste. La société, leur entourage leur inculquent de bonne heure une  façon  de  raisonner  selon  cette  société  et  cet  entourage, c’est à dire à altérer  profondément  leur  instinct,  qui  est  pourtant  la  base  de tout, à rester aveugle  et  sourd aux choses essentielles, à vouloir ne pas voir, tenir pour faux ce  qui  est  vrai  et  pour vrai ce qui est faux. Tout cela est remis au point par la nature  un jour, généralement trop tard, parfois à l’heure de la mort. L’instinct ne s’endort jamais tout à fait.

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              Philosophie et science technique  

  Dans l'ordre de la hiérarchie intellectuelle, la philosophie est de beaucoup supérieure à la science technique. Celle-ci est un genre de connaissance qui ne tient compte que de ce qui peut se vérifier tandis que la philosophie est un genre de connaissance qui part du terme où la science technique arrive, c'est-à-dire qu'il constate que l'essentiel de ce qui concerne les hommes n'est pas vérifié positivement et qu'il faut chercher un autre moyen de discerner. La science technique étant défaillante pour l'essentiel, ce serait le monde à l'envers qu'elle dicte sa loi à la philosophie. L'ambition de la science actuelle est pourtant de professer qu'aucune croyance n'est valable sans vérification, sans explication et de croire, par contre, ce qui est pourtant une croyance non-vérifiée, qu'elle pourra tout comprendre et vérifier un jour ou l'autre. La philosophie, à la fois plus modeste, plus compréhensive et plus logique admet cette évidence que les choses les plus importantes sont précisément ni vérifiables ni explicables par nature même et ne voit dans la science technique qu'un moyen d'investigation limité. Descartes est excellent si l'on refuse de croire vraie une chose qu'on a vérifiée être fausse. Pascal est excellent si l'on admet que ce qui mène le monde ne se vérifie pas ni ne s'explique. Ces deux pensées se confirment mutuellement.

 Tout phénomène à une cause, c'est vrai, mais l'important est de comprendre que notre esprit est ce qu'il est, c'est-à-dire qu'il a des limites, n'est pas capables de tout embrasser et que pour nous, enfin, il y aura toujours l'invérifiable par nature. Ce refus de l'invérifiable par nature est l'orgueil illogique et la faiblesse des hommes de science de notre temps qui ne voient pas que le vérifiable sort de l'invérifiable.

                                                           

        - Les trésors spirituels seuls rentables dans le futur -

  Le présent n'admire, ne considère et ne juge favorablement que la réussite d'argent. Pourtant, on voit bien des choses, des gens sans valeur définitive disparaissant totalement après eux, sprituellement parlant, qui ont connu de leur temps une réussite pratique extraordinaire. Il est donc remarquable que la réussite temporaire, celle à quoi tiennent le plus les vivants, ce qui est le but de leur vie, ce qui apporte richesse, considération, honneur, célébrité n'est pas de même sorte que ce qui fait la rentabilité des oeuvres d'Aristote, de Phidias ou de Molière. Bien plus, il n'y a que les trésors spirituels de l'humanité qui deviennent, dans le futur, des trésors pécuniaires. En ce qui concerne les réussites temporaires, s'agit-il d'une oppression de la médiocrité ayant la force du nombre, ou s'agit-il simplement d'une illusion coûteuse qu'on a trop honorée? Quoi qu'il en soit, une époque aurait intérêt à bien juger. Renier les juges d'une époque, renier ceux qui l'on faite, ce qu'elle a été, c'est condamner cette époque elle-même et c'est la condamner aussi que d'avouer que les trésors spirituels de cette époque sont de faux trésors. C'est reconnaître enfin, quand on vit pratiquement des trésors spirituels d'une autre époque, qu'il n'y a que les vrais trésors spirituels qui puissent devenir des trésors pécuniaires.

 

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                         - Le monde -

  Le monde n’a pas évolué en bien, mais il faut le voir tel qu’il est, avec ses ruses terre-à-terre, ses comédies et, finalement, son manque de générosité et de noblesse. Croire le monde capable d’acquérir des vertus n’est pas absurde, mais il est absurde d’agir comme s’il les avait. Tout est entre les mains de brutes avides : la culture et les moyens de la répandre. Heureusement, le fonds de la culture est conservé parce qu’il est considéré comme une richesse monnayable et un prestige pour l’accès au pouvoir.

                                                       *

                                              - La Ruse -

  Les gens sans valeurs remplacent la valeur qui leur manque en faisant un système de la ruse : en agissant ainsi, ils donnent leur démission d’homme. On confond souvent être « malin » et être intelligent : on trouve chez l’homme ce qu’on appelle la spiritualité et l’on ne trouve que la ruse chez l’animal. Ainsi, l’homme qui guette sa proie et arrive par la tromperie et la brusquerie à l’attraper se rabaisse à l’animalité.

   

 

                                           - Nationalisme -

  Les nationalismes existent toujours en potentiel comme existent beaucoup d’instincts que l’occasion peut faire éclore. L’occasion est provoquée par les circonstances. Par exemple, l’idéologie de l’indépendance, de la liberté, ou une idéologie quelconque comme le prétendu anti-capitalisme, la prétendue égalité, la prétendue démocratie, la prétendue paix universelle. En fait, c’est toujours à la guerre qu’aboutissent n’importe quels principes car il faut, pratiquement, une armée efficace pour défendre la cause.

 

  Un nationalisme est plus ou moins franc, plus ou moins détourné, mais c’est toujours, finalement, un nationalisme en ce sens que les pays se vantent d’avoir les meilleures idées. Ce qui donne aux nationalismes le plus de virulence ce sont les fournisseurs d’armes, qui fournissent les uns et les autres sous des noms divers d’apparence nationale. Les nationalistes deviennent alors de simples pièces de l’échiquier des fournisseurs d’armes. Tu as un sous-marin : il m’en faut deux. Tu as tant d’avions, de tanks, de mitrailleuses, de fusées : il m’en faut donc davantage. Etc. C’est la course à la surenchère qui fait que les fournisseurs d’armes gagnent toujours par des moyens enfantins et sont les véritables maîtres de la situation.

 

 

                                - Le sublime et l’imposture -

  Le sublime a parfois l’imposture pour véhicule. L’imposture qui, finalement, paraît toujours ce qu’elle est, reste faible : aussi recherche-t-elle à s’allier au sublime qui lui sert d’assise de façon à ce qu’on se dise : y a-t-il imposture ou non ?

 

 

                      - Dictature de la propreté apparente -

  Chaque entreprise se vante de présenter un produit qui nettoie de mieux en mieux et surpasse tous les autres en propreté. C’est à qui nettoiera le mieux soit sa maison, soit sa cuisine, soit ses vêtements. On est las de ce qui est propre et laid et vous dicte sa loi. Et la propreté qui ne se voit pas, qu’en fait-on ?

 

 

                                     - La vie et la mort -

  Il n’y a pas de différence entre la vie et la mort si l’on pense que la mort la plus profonde est la décadence morale et si l’on pense que la mort physique n’est qu’un accident sous des formes variées, à brève ou longue échéance : maladies, vieillesse, risques violents dans la guerre, accidents, périls, suicides. Cette mort physique qui ne se produit pas sans une vive et dramatique opposition de l’instinct vital, exprime tout à coup une grande sérénité quand elle est accomplie. Par cette sérénité, inexplicable sans cela, elle évoque davantage une mutation qu’une fin.

 

                                           - Opinion -

  Les gens n’ont, en général, d’opinion réelle que celle qu’ils gardent intime : celle de leur intérêt matériel. Leurs autres opinions qu’ils expriment sont des opinions stratégiques, c’est-à-dire qu’ils jugent utile de paraître avoir.

 

                               - Critique de la réflexion -

  On n'a pas une idée en réfléchissant plus longtemps, sinon il suffirait de réfléchir en y mettant le temps pour être pascal ou Napoléon. La grande qualité est comprendre et non réfléchir et, en tout état de cause, la réflexion ne peut qu'oscurcir la compréhension.

                                - La course au confort -

  La course au confort, visant à un mieux être par le moindre effort alors que l'effort est nécessaire à l'organisme humain pour éprouver ensuite du bien être, est un faux calcul. L'erreur étant la définition même du faux calcul, la course au confort est une erreur scientifique.

 

                                            

 

 

 

 

                              

 

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